Exposition
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Ligne : Archive (1ère Partie)

 

Cette exposition concerne un album étonnant et rare de gravures de 1806, reproduisant les physionomies de Charles Le Brun, un ensemble de dessins comparatifs de visages humains et animaux qui furent réalisés plus de 135 ans auparavant.

 

Le Système de Lebrun sur la Physionomie ~

L.-J.-M. Morel d'Arleux (d'après Charles Lebrun)

Dissertation sur un Traité de Charles Lebrun concernant le
Rapport de la Physionomie Humaine avec Celle des Animaux
Paris, Chalcographie du Musée Napoléon, 1806

Planches gravées* d'après les dessins de Lebrun, pour son
Traité du Rapport de la Figure Humaine avec celle des Animaux.

Charles Le Brun (1619-1690) , Premier Peintre du roi Louis XIV, était le fondateur de l'Académie Royale de Peinture et de Sculpture, et le plus important défenseur du classicisme. Le 28 mars 1671 il y présenta son traité :

"...toutes les diverses démonstrations qu'il en a dessinées, soit de têtes d'animaux, soit de celles des hommes, faisant remarquer les signes qui marquent leur inclination naturelle" (Procès-verbaux de l'Academie I : 358-359).

Tandis que l'ensemble de dessins originaux** est toujours conservé au Louvre, le texte original est perdu : nous n'avons qu'une synthèse approximative par Nivelon, des abrégés posthumes par Henri Testelin et E. Picart, et la dissertation par Morel d'Arleux qui accompagne l'édition des gravures de 1806.

Louis-Jean-Marie Morel d'Arleux (1755-1827) fut le conservateur de dessins et d'estampes au musée Napoléon (aujourd'hui le musée du Louvre). Son intérêt pour les "démonstrations" de Le Brun et son dévouement à leur résurrection sont notables, et se rapportent au courant du néo-classicisme alors en vogue, une triangulation conceptuelle liant l'imperium romain et napoléonien à travers le règne du Roi Soleil.***

La physionomie, littéralement la "connaissance de la nature", concerne l'évaluation du caractère humain à travers l'étude des traits physiques. Ce concept d'une adéquation entre le corps et l'âme remonte à l'Antiquité, et ressurgit dans la pensée du XVIIème siècle.

Le Brun, bien sûr, tirait son inspiration de sources contemporaines diverses, à la fois graphiques et philosophiques, dont deux viennent immédiatement à l'esprit :

De Humana Physiognomia de G. B. Della Porta avait été traduit en français en 1655-56, et certains des dessins de Le Brun se rapportent clairement à son prédécesseur italien,

et plus important, René Descartes publia son Passions de l'Ame en 1649, situant le siège de l'âme dans la glande pinéale, qui se trouve au centre du cerveau.

Le Brun y prit le point de départ de son traité. Elaborant une géométrie qui lie l'âme aux sens, témoignant des facultés et du caractère, il étudia les lignes reliant les différents points de la tête. L'angle ainsi formé par les yeux et le front indique ici les aspirations de l'individu : dirigé vers le haut, elles sont élévées et spirituelles ; vers le nez et la bouche, éléments animaux de la basse expérience sensorielle, elles sont viles (voir Planche 1).

Ainsi la position et la conformation des yeux aident beaucoup à la lecture des passions dominantes (Cf. la démonstration de la Pl. 12, où Le Brun attribue des yeux humains au lion et au cheval).

Dans son 3ème Discours Académique, Henri Testelin relate que :

"les affections de l'âme suivent le tempérament du corps et que les marques extérieures sont des signes certains des affections de l'âme, que l'on connaît en la forme de chaque animal, ses moeurs, et sa complexion...

La différence entre la face humaine et celle des brutes, est que l'homme a les yeux situés sur une même ligne qui traverse droit au nerf des oreilles, lequel conduit à l'ouïe ; les animaux brutes au contraire ont l'oeil tirant en bas vers le nez, suivant leurs affections naturelles."

Testelin poursuit sur la géométrie des animaux, affirmant:

"L'on démontra par un triangle, que les impressions des sentiments des animaux se portent du nez à l'ouïe, et de là au coeur, dont la ligne d'en bas vient fermer son angle à celle qui est sur le nez ; et que quand cette ligne traverse tout l'oeil, et que celle d'en bas passe au travers de la gueule, cela marque que l'animal est féroce, cruel, carnassier.

Il se fait encore un petit triangle dont la pointe est au coin extérieur de l'oeil ; d'où la ligne suivant le trait de la paupière supérieure forme un angle avec celle qui vient du nez. Quand la pointe de cet angle se rencontre vers le front, c'est une marque d'esprit, comme l'on voit aux elephans, aux chameaux, et aux singes ; et si cet angle tombe sur le nez, cela marque la stupidité et l'imbécillité, comme aux ânes et aux moutons..."

Le système de Le Brun est en fait à deux étages, ayant trait aux caractéristiques générales, tout en prenant en compte les différences spécifiques.

Comme le formule Morel d'Arleux :

"Il lui fallait trouver des signes à l'aide desquels il pourrait mesurer l'étendue des facultés, distinguer l'instinct naturel de chaque espèce, et le penchant particulier de chaque individu."

Est-ce-que Le Brun croyait vraiment en une sémiotique de l'âme? Qu'il y a des traits universels dans toute forme de vie dont l'étude mathématique pourrait révéler la nature? De par sa démonstration tout au moins, il semble nous assurer que certaines personnes ont bien plus en commun avec les bêtes qu'avec leurs compatriotes. Regardons de près...

 




* "Les 11 premières planches ont été gravées par M. [Louis-Pierre] Baltard et les Autres par M. André Le Grand," selon le page de titre de l'édition de 1806 ; pour le catalogue d'une exposition récente sur les gravures, voir Madeleine Pinault Sørensen, De la physionomie humaine et animale : dessins de Charles Le Brun gravés pour la Chalcographie du Musée Napoléon en 1806, RMN, Paris, 2000.

** Pour les dessins, voir Lydia Beauvais, Inventaire Général du Fonds Français du Louvre, Dessins de Lebrun, RMN, Paris 2000.

*** La Chalcographie elle-même dérive de la création par Colbert de la manufacture des Gobelins (qui comprenait un atelier de gravure sous Sébastien Leclerc) pour Louis XIV, et il est bien connu que ce nouvel essor lui fut donné par Napoléon. Il y fit graver des oeuvres en commémoration de son règne, ainsi que des oeuvres qu'il jugea majeures, telles que l'album présenté ici.

 


 

LES PLANCHES


Description Générale

gravures, 1806, sur papier vergé fort, avec des filigranes du colombier et "G FENEROL/AMBERT" en alternance ; la suite complète de 58 planches sur 37 feuillets comme publiée dans la première édition ; belles épreuves à toutes marges non ébarbées (sauf Planche 12, rognée de 9 mm), avec des traces de l'ancienne reliure (coutures et perforations sur le bord gauche de chaque feuillet), quelques piqûres et plis de manipulation, les bords des feuillets de certaines planches un peu empoussiérés et froissés, une déchirure marginale sur la Pl. 24b (en dehors du sujet), quelques autres petites déchirures ; les dernières planches comportent des taches d'humidité dans les marges, à l'occasion abordant l'image (voir notamment Pl. 32 et 33) ; Pl. 1 légèrement empoussiérée et frottée, le dernier feuillet empoussiéré sur le verso, autrement en plutôt bonne condition

Bibliographie : Brunet III, 910

 

N.B. Pour des raisons pratiques, et étant donnée la taille des estampes, nous avons décidé de les montrer ici en série, à une échelle relativement petite de 1 : 6, et divisées en deux parties :

la 1ère Partie, qui suit, contient les Planches 1-11, essentiellement des gravures au trait, servant des fins démonstratives, mais regroupées en 2 sous-ensembles : l'exposition humaine (Pl. 1-5), et l'extrapolation animale (Pl. 6-11) ;

la 2ème Partie contient les Planches 12-37, bien plus finement gravées, à des fins plutôt illustratives, qui développe l'argument ; à partir de la Pl. 12, reprenant le motif de l'oeil, Le Brun développe l'ensemble animal en parallèle, les planches regroupées encore en 2 sous-ensembles : les têtes équivalentes homme-animal (Pl. 13-33) et les quatre dernières planches des yeux (Pl 34-37), les plus surréalistes de toutes;

et chacune des planches est visible en plus grand (échelle de 1 : 3), sur une page séparée.


Planches 1-5

Ici Le Brun expose les prémisses de son argument.

Il dévéloppe les canons du visage humain, avec l'inclinaison des yeux comme indice principal de l'élévation ou de l'avilissement d'un individu. Une prédisposition physique, l'axe de vision (oeil-âme), oriente les "passions".

Cet argument est illustré par des exemples classiques : dieux et héros, ainsi que les empereurs romains, Antonin et Néron.


Planche 1. Têtes d'homme vues de face et de profil
tracées pour la démonstration du système de Lebrun

Selon le texte de Morel d'Arleux, la ligne horizontale traverse chaque coin d'oeil dans la figure centrale, indiquant les passions tempérées par la raison et la vertu.

Dans la figure à droite, les coins intérieurs élévés désignent des passions nobles et généreuses, tandis que la figure de gauche est sujette à des passions honteuses, méprisables, ou atroces.

P. 355x378mm., F. 590x430mm.

Planche 2. Têtes de Jupiter et d'Hercule d'après l'antique

Reprenant les canons classiques, le dieu olympien est ici opposé au héros malchanceux, avec une allusion géométrique claire à l'inclinaison des yeux.

 

P. 414x306mm., F. 590x430mm.


Planche 3. Têtes de Jupiter et de lion

Bien que le rapport avec le lion ici soit peu évident, il reflète vraisemblablement une mise en jeu de courage et de férocité.

P. 271x327mm., F. 590x430mm.

 

Planche 4. Têtes d'Antonin et de Néron

 

Une présentation des empereurs antithétiques, le pieux et le pervers, sert une démonstration en contrepoint, Antonin comme modèle de vertu, Néron celui du vice.

P. 385x300mm., F. 590x430mm.

 

5. Autres Têtes d'Antonin et de Néron

L'alignement contrastif renforce l'opposition dans cette petite planche.

Au centre, la figure d'Antonin prend l'inclinaison des yeux de la figure C (à gauche) de la Planche 1, lui imposant un air "féroce".

P. 356x358mm., F. 590x430mm.


Planches 6-11

Ici Le Brun dévéloppe la géométrie triangulaire en rapport avec ce qu'il considère apparemment comme des exemples significatifs d'animaux, avec leurs équivalents humains. Reprenant Testelin, Morel d'Arleux les commente ainsi :

"Il [Le Brun] suppose un triangle équilatéral dont la base AB, passant par l'intérieur de l'oeil en E, se trouvant coupée au point A, à l'extrémité de la narine et au point B, soit au tympan de l'oreille soit à la naissance des cornes...

Si l'animal était carnassier, il tirait au coté BC du triangle une parallèle qui passait par le coin intérieur de l'oeil en E, venant couper plus ou moins la gueule en G, selon la voracité, mais elle se trouvait décrite en deçà quand il était frugivore. Cette même parallèle prolongée jusqu'au front allait frapper le signe de la force, indiqué par une élévation plus considérable de cette partie, et dénotait en même temps le degré de courage de l'animal.

La ligne HI partant du coin extérieur de l'oeil côtoyant la paupière supérieure et se prolongeant jusqu'au front découvre le degré de sagacité de l'animal par son élévation, de mansuétude par sa tendance à être horizontale, de méchanceté ou d'avilissement par une inclinaison sur le nez.

La parallèle extérieure KL tirée à la base AB du triangle ACB et rasant la plus grande élévation du front vient à l'appui de l'observation précédente, en laissant un espace plus ou moins considérable entre elle et le mufle selon que l'animal est doué ou non d'intelligence."

 

Planche 6. Rapport de la Figure humaine avec celle de l'âne

Sur les dessins originaux, l'âne est annoté par Le Brun"opiniâtre"
à l'intersection des lignes du front et des paupières.

 

P. 432x318mm., F. 590x430mm.

 

Planche 7. Rapport de la Figure humaine avec celle du boeuf

Le boeuf est caracterisé par la force et l'opiniâtreté.

 

P. 434x325mm., F. 590x430mm.

 

Planche 8. Rapport de la Figure humaine avec celle du chat

Les dessins de chat par Le Brun furent annotés:
"opiniâtre, méfiant; opiniâtre, farouche; opiniâtre et craintif"

 

P. 353x297mm., F. 590x430mm.

 

Planche 9. Rapport de la Figure humaine avec celle du cochon

Le cochon est mis en rapport avec la lubricité et la gourmandise.

 

P. 436x326mm., F. 590x430mm.

 

Planche 10. Rapport de la Figure humaine avec celle du lion

L'aspect féroce et carnivore est ici mis en valeur.

 

P. 434x321mm., F. 590x430mm.

 

Planche 11. Rapport de la Figure humaine avec celle du singe

Selon Le Brun, le singe montre des signes d'intelligence ("esprit").

 

P. 353x297mm., F. 590x430mm.

 

Pour la suite de la série (Planches 12-37), veuillez vous reporter au
Système de Le Brun sur la Physionomie, 2ème Partie.