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Exposition
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La présentation qui suit repond à la demande d'un collectionneur qui nous a confié une série plutot curieuse d'estampes de Redon : il cherchait à élucider la nature de ces estampes, souvent confondues dans la litterature avec des lithographies, et sur lesquelles peu de choses a été publié à notre connaissance.
En 1857, Charles Baudelaire publia pour la première fois son chef d'oeuvre poétique qui, en depit de sa condamnation immédiate pour outrage aux moeurs, anticipait les symbolistes et allait servir de référence dans la seconde moitié du 19ème siècle à plusieurs générations d'artistes, inspirés par sa sensualité sombre et sa rêverie mélancolique.
A la fin des années 1880, Redon avait acquis une certaine réputation dans les cercles symbolistes belges, notamment parmi les membres du Groupe des XX, y compris Edmond Deman, un bibliophile et éditeur connu pour ses volumes illustrés de poésies (Mallarmé, Verlaine). En plus de son rôle comme distributeur des estampes de Redon à Bruxelles, Deman avait aussi publié plusieurs livres illustrés par Redon (e.g., les oeuvres d'Emile Verhaeren), ainsi qu'un album des lithographies de Redon (Tentation de Saint-Antoine, Première Série, 1888).
En 1889, il semble que Redon ait suggéré l'idée d'un album des Fleurs du Mal à Deman, en lui vendant un ensemble de 9 petits dessins, ce qu'il appela des "interprétations" plutôt que des illustrations, un mot qu'il trouva défectueux. Ces dessins composèrent une collection quelque peu disparate en termes de sujet, style, technique, dimension, et même chronologie, comprenant quelques oeuvres plus anciennes des années 1870.
Cette série de dessins* était exposée pour la première fois au Salon des XX en février 1890, et ils furent ensuite "reproduits" en grandeur nature pour l'édition par le procédé d'Evely. Ils seront réédités quelques années plus tard par Henri Floury (Paris, 1923). Il paraît que l'ensemble exposé ici, sans numérotation et sans le texte typographié en-dessous des planches, provient de cette édition. Techniquement parlant, ces estampes sont bien distinctes des lithographies, avec lesquelles elles ont souvent été confondues ostensiblement depuis que Jules Destrée inclua cet album dans son catalogue** sur les lithographies de Redon, et en dépit du fait qu'il spécifie qu'ils ont été imprimés par Evely, en utilisant le procédé d'Evely sur des planches de cuivre (avec une qualité qu'il note comme "inférieure" à l'impression lithographique), et sans retouches par l'artiste. Léon Evely était un imprimeur de renom en Belgique à la fin du 19ème siècle, bien connu pour ses expériences avec des variations raffinées d'encrage, des papiers exotiques et anciens, et, évidemment, des procédés graphiques nouveaux. Il fut le premier imprimeur de James Ensor, et travaillait régulièrement avec Félicien Rops*** au perfectionnement des techniques d'héliogravure, la planche étant d'abord gravée photomécaniquement et retouchée ensuite à la pointe sèche, à l'aquatinte, ou à la roulette. |
Etant donné la diversité technique des dessins de Redon pour Les Fleurs du Mal, il est intéressant de comparer le traitement des lignes dures dans les dessins à la plume avec les ombres subtiles des dessins au fusain. En examinant les épreuves, les zones sombres sont uniformément plates, manquant le relief du trait gravé tout en rendant plutôt bien les demi-teintes ; la confusion avec la lithographie est ici quelque peu compréhensible, bien que la présence d'une cuvette marquée devrait vite la régler. Toutes les planches montrent effectivement des retouches à la roulette, parfois à la pointe. A peine visibles sur certain dessins au fusain (voir Pl. II, ci-dessus), elles renforcent généralement les tons sombres, mais figurent aussi en évidence sur quelques ombres plus légères (voir Pl. IX, Cul-de-lampe, ci-contre).
Il est d'ailleurs curieux de constater que selon Destrée, l'édition de Deman des Fleurs du Mal se vendait alors à des prix équivalents aux albums de lithographies (i.e., 40 francs, par rapport à 55 francs pour l'album de dix lithographies, La Tentation de Saint Antoine, 1888), ce qui semble indiquer que la distinction actuelle entre les estampes "originales" et les "belles" reproductions n'était pas alors aussi nette.
* Voir Wildenstein 794, 941, 1103, et 1190 pour ceux actuellement connus. ** L'Oeuvre Lithographique de Odilon Redon, Bruxelles, 1891. *** Rouir, Félicien Rops: les Techniques de la Gravure, Bruxelles, 1991) |
Les Fleurs du Mal I. Couverture-Frontispice (Mellerio 198)
Planche :
257 x 166 mm N.B. Les images montrées ici ont toutes été reproduites en les rognant approximativement à la limite de la cuvette, et reduites de 50%. |
Les Fleurs du Mal II. Je t'adore à l'égal de la voûte nocturne, ô vase de tristesse, ô grande taciturne! (Mellerio 199)
Planche :
277 x 210 mm |
Les Fleurs du Mal III. Parfois on trouve un vieux flacon qui se souvient, d'où jaillit toute vive une âme qui revient (Mellerio 200)
Planche :
274 x 198 mm |
Les Fleurs du Mal IV. Si par une nuit lourde et sombre, un bon chrétien, par charité, derrière quelque vieux décombre, enterre votre corps vanté (Mellerio 201)
Planche :
267 x 213 mm |
Les Fleurs du Mal V. Volupté, fantôme élastique! (Mellerio 202)
Planche :
219 x 154 mm |
Les Fleurs du Mal VI. Sur le fond de mes nuits, Dieu, de son doigt savant, dessine un cauchemar multiforme et sans trêve (Mellerio 203)
Planche :
240 x 214 mm |
Les Fleurs du Mal VII. Sans cesse à mes côtés s'agite le démon (Mellerio 204)
Planche :
256 x 209 mm |
Les Fleurs du Mal VIII. Gloire et louange à toi, Satan, dans les hauteurs du ciel où tu régnas, et dans les profondeurs de l'enfer, où vaincu, tu rêves en silence! (Mellerio 205)
Planche :
208 x 212 mm |
Les Fleurs du Mal IX. Cul-de-lampe (Mellerio 206)
Planche :
210 x 147 mm |